Adopter un enfant prend du temps et suppose d’accepter des contraintes médicales dans un cas, une démarche administrative dans l’autre, qui entraîne de surcroît le renoncement à une grossesse, à un enfant « né de soi ».
Dans le premier cas, même avec l’aide d’un tiers anonyme, on vit une grossesse, on donne naissance physiquement à un enfant. Dans le second cas, l’enfant existe déjà quelque part, né de quelqu’un d’autre. Il ne vient pas de l’intérieur, des tripes, il vient de l’extérieur, on ne sait pas très bien d’où ni de qui.
Intégrer cette idée, et tout ce qu’elle implique, ne se fait pas du jour au lendemain. Il faut se donner le temps de pouvoir cheminer de l’enfant désiré vers l’enfant réel, avec, entre les deux, l’enfant qu’il aura fallu imaginer autrement, puisqu’il n’aura pas forcément les traits du grand-père ou de la mère.
Ce cheminement vers l’adoption n’est pas facile. Pour certains, il se fait assez rapidement, sans passer par le détour d’une AMP ; pour d’autres, il s’avère douloureux, voire impossible, d’autant plus qu’il implique d’admettre sa propre stérilité, restée tue au cœur de la vie du couple, comme un secret dont, par atavisme, on aurait presque honte. C’est seulement lors de rencontres avec d’autres parents ayant vécu le même parcours qu’on parvient à s’exprimer sur ces questions.
Ce cheminement conduit de celui que les psychologues appellent l’enfant rêvé à l’enfant réel. Il implique une prise de conscience qu’un enfant biologique comme un enfant adopté est un individu à part entière, un être extérieur à soi.
Un enfant dont il faut admettre que, même s’il vient à ressembler à ses parents, il est aussi, naturellement, différent et unique.
Telle jeune maman se plaindra volontiers de ce que sa fille ne lui ressemble pas assez, qu’elle est brune là où elle la voyait blonde. Les différences ne doivent pas pour autant relever du pittoresque, ni de l’esthétique.
Telle postulante à l’adoption dit rêver d’une jolie petite fille noire pour lui faire toutes ces magnifiques tresses…
Accepter l’enfant, tel qu’il est
L’enfant n’est pas une poupée Barbie ! L’enfant, c’est pour la vie, avec ou sans les tresses, pour le meilleur et pour le pire. Accepter l’enfant tel qu’il est, et non tel qu’on l’imagine, cela signifie grandir, sortir de soi pour aller vers l’autre.
Se donner le temps de laisser mûrir son désir d’enfant, pour faire sienne cette notion d’individu, qui permettra à l’enfant d’occuper la place réelle qui lui revient et de grandir dans l’assurance de l’amour indéfectible de ses parents. Cela est important pour tous les enfants, pour toutes les familles.
Dans le cas d’une adoption, c’est essentiel. Prendre conscience de cette individualité sera précisément une des conditions pour que la création des liens puisse s’opérer, pour que la greffe puisse prendre.
L’enfant existe déjà quelque part
À la différence de celui qui nous vient d’une conception naturelle ou d’une procréation artificielle, l’enfant que nous adoptons existe déjà quelque part, alors même que nous commençons à creuser notre désir d’enfant, sûrement avant qu’il ne nous soit confié, même s’il s’agit d’un nouveau-né. Il est là, quelque part : chez ses parents biologiques, dans une pouponnière, un orphelinat, une famille d’accueil, dans une ruelle de bidonville…
Physiologiquement, il nous vient d’ailleurs, de l’extérieur. Même si, affectivement, il est déjà là, lové dans notre sein et notre cœur, et que son arrivée dans notre vie peut provoquer des sensations extrêmes analogues à celles que l’on ressent au moment de l’accouchement. Une mère qui n’a jamais accouché suscitera un sourire dubitatif lorsqu’elle raconte en ces termes l’arrivée de son enfant adopté. Mais des mères adoptives qui ont aussi connu une grossesse et un accouchement bien physiques sont là pour en témoigner.
Les parents d’enfants biologiques seraient-ils de meilleurs parents adoptifs ?
Certains psychologues se sont demandés si les meilleurs parents adoptifs ne seraient pas ceux qui ont déjà donné naissance à des enfants. Le danger d’une confusion entre enfant biologique et adopté, entre enfant désiré, imaginé et réel ne viendrait pas ainsi se télescoper avec autant d’intensité sur cet enfant né ailleurs et devenu sien.
L’expérience montre que les parents d’enfants biologiques ayant adopté des enfants ne font « aucune différence » entre eux. Si ce n’est les degrés de connivence ou d’empathie variables que l’on peut avoir avec ses enfants, fussent-ils tous biologiques, tous adoptés, ou un mélange des deux !
Le risque, pourtant, serait de trop vouloir gommer les différences. L’enfant adopté arrivera avec son tempérament, son état de santé, son vécu. Il devra être accueilli et respecté dans sa différence. Il aura besoin de temps pour s’adapter à un mode de vie qui pour les autres va de soi, pour acquérir selon les cas une langue, des conventions et des notions que les autres auront assimilées sans difficulté.
On aura beau accorder un amour égal, si on ne sait pas reconnaître ces différences, l’adoption pourra être un échec.
La place de l’enfant adopté
Que les futurs adoptants soient un couple stérile, un couple qui a déjà des enfants ou un(e) célibataire, ils devront tenter d’évaluer la place qu’occupera l’enfant adopté, de cerner les motivations qui font qu’ils souhaitent fonder ou élargir leur famille par le biais de l’adoption : cet enfant qu’ils se proposent d’accueillir. Vont-ils vraiment le considérer comme le leur ? Au même niveau que les enfants biologiques qu’ils ont eu ou qu’ils auraient voulu avoir ?
Vont-ils le porter dans leur cœur et le sentir dans leurs tripes, quand il est malade ou malheureux ? Comment vont-ils réagir quand, adolescent, il dit les rejeter ou rejeter ce qu’ils représentent ? À travers ces interrogations, le dialogue avec d’autres, la découverte d’expériences multiples, l’enfant, peu à peu, devient réel…
Aide médicale à la procréation (AMP) et démarche d’adoption : une certaine écoute
Le couple sans enfant se trouve en position vulnérable. Il peut trouver un appui et une aide à la réflexion auprès des équipes psycho-médicales, dans l’hypothèse où il demande une aide médicale à la procréation (AMP), avec ou sans don de gamètes (sperme ou ovules), ou auprès des psychologues et assistantes sociales de l’Aide sociale à l’Enfance, dans l’éventualité où il envisage une adoption.
Dans un cas comme dans l’autre, l’échange avec des personnes tierces, extérieures au débat, du moins dans sa dimension affective, permet de renouer avec une certaine sérénité, de se libérer et de s’exprimer. Avec, toutefois, une différence notable entre les deux équipes, et les deux approches . Dans le cas d’une AMP, l’équipe est l’ingénieur, le maître d’œuvre du projet. C’est par elle qu’arrivera la naissance, si elle se produit . Dans le second cas, l’équipe sonde un désir d’enfant, évalue la capacité d’accueil d’un couple, mais ne sera en aucun cas le passeur direct.
Quand Emma est descendue de l’avion avec son père (je n’avais pas pu l’accompagner, j’étais restée avec nos deux enfants « faits maison »), quand je l’ai vue, j’ai été saisie de douleurs violentes, et d’un mélange très fort d’émotions, comme au moment de l’accouchement des deux premiers. Emma était là, elle approchait, elle avait 9 ans; ce jour-là, j’ai accouché d’elle, mon troisième enfant.